Le Fil n°53

6 Juin 2024

9

LE CHIFFRE

C’est le numéro de l’article de l’arrêté du 10/7/1996 relatif aux factures d’eau et d’assainissement, qui impose d’informer les usagers lors de l’application de changements importants de tarifs. L’obligation est formulée dans les termes suivants : « Tout changement significatif total ou partiel du tarif, correspondant à une modification des conditions dans lesquelles le service est rendu, doit être mentionné au plus tard à l’occasion de la première facture où le nouveau tarif s’applique en précisant le tarif concerné et la date exacte d’entrée en vigueur. »

En revanche, le juge administratif a récemment rappelé qu’il n’existe pas d’obligation d’information des usagers avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle délibération tarifaire.

 

L’ARRÊT

Au fil des années, le principe de l’interdiction de la gratuité de l’eau, posé explicitement par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) en 2006 et codifié à l’art. L.2224-12-1 du CGCT, a globalement été intégré.

Toutefois, on rencontre encore quelques survivances de pratiques anciennes. Tel est notamment le cas de conventions passées avec des propriétaires auxquels la gratuité a été accordée en échange de la cession d’une source, utilisée par le service d’eau potable. 

Cela n’est plus admis : la loi donnait en effet aux collectivités responsables des services d’eau jusqu’au 31 décembre 2007 au plus tard pour mettre un terme à ces accords.

Pour autant, certains propriétaires, voire leurs ayant-droits, prétendent pouvoir continuer à bénéficier de la gratuité, en se fondant par exemple sur des actes notariés.

Dès 2011, la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé que les dispositions de la LEMA avaient rendu caduque une convention prévoyant la cession gratuite d’une source en échange d’un engagement de ne pas faire payer l’eau. Elle a également précisé que si l’art. 1134 du Code civil (désormais recodifié à l’art. 1193) prévoit que la révocation d’une telle convention est normalement conditionnée au consentement mutuel des parties, il dispose également que « les causes que la loi autorise » constituent un autre cas de résiliation, ce qui est le cas ici.

La Cour de cassation a rappelé à son tour en 2017 la portée de la LEMA : elle habilite les collectivités à mettre fin unilatéralement à toute disposition ou stipulation contraire avec la nouvelle règle d’interdiction de la gratuité de l’eau. 

Dans cette affaire, les plaignants faisaient notamment valoir qu’il ne s’agissait pas d’une fourniture d’eau à titre gratuit puisque l’acte en cause prévoyait des concessions réciproques, les propriétaires mettant leur source à disposition et étant d’ailleurs tenus de payer les consommations au-delà de 500 litres / jour. Ils considéraient également que la mesure était rétroactive, alors même que la loi ne l’avait pas explicitement prévu, ce qui la rendaient illégale. La Cour a écarté cet argument, considérant qu’en enjoignant aux collectivités de mettre un terme aux diverses conventions en vigueur, la loi s’appliquait nécessairement aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur : il n’y avait donc pas de sujet autour de la rétroactivité.

Dernièrement, un recours a été présenté selon un autre angle de contestation. Le requérant bénéficiait d’un droit d’eau accordé par le propriétaire de la source en 1861 (gratuité à perpétuité sur la base de 400 l / mn) ; il considérait donc que la collectivité, dont cette source était depuis lors devenue un des points d’approvisionnement, ne pouvait remettre en cause la gratuité alors qu’elle n’avait pas elle-même instituée.

Le 29 mars 2023, la Cour de cassation, validant l’analyse de la Cour d’appel de Grenoble de 2021, a rejeté ce moyen en relevant que la loi n’avait nullement limité la fin de la gratuité aux seuls cas dans lesquels les collectivités l’avaient précédemment établie via des droits d’eau. Elle a également relevé que la facturation de l’eau était d’autant moins contestable que désormais, comme la source était intégrée dans le circuit de production du service, elle faisait l’objet d’un traitement avant d’être fournie.

Aujourd’hui, seuls 2 cas de gratuité de l’eau sont donc valables :

  • l’un est général et prévu à l’art. L.2224-12-1 : il concerne les consommations d’eau des bouches et poteaux d’incendie placés sur le domaine public ;
  • l’autre, prévu à l’art. L.2224-12-4 II du CGCT, relève de la politique tarifaire de chaque service d’eau, qui « peut tenir compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés en situation particulière de vulnérabilité en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite. » Cette formulation semble donc conditionner le bénéfice d’un tel dispositif à un critère social : il ne s’agit a priori pas d’une tranche applicable à tous les abonnés pour leurs 1ers mètre cubes.

Quels syndicats infracommunautaires pourront se maintenir lors du transfert des compétences eau et assainissement aux CC le 1er janvier 2026 ?


Parmi les principes fondamentaux de l’intercommunalité figurent ceux relatifs au devenir des syndicats dont le périmètre est inclus en totalité dans des communautés de communes ou d’agglomération : lorsqu’elles viennent à exercer des compétences jusque-là détenues par ces syndicats, elles leur sont pleinement substituées, ce qui entraîne la dissolution de ces derniers s’ils ne détiennent pas d’autres compétences.

La loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a toutefois créé une exception majeure à ce principe : les CC (art. L.5214-16 du CGCT) et les CA (art. L.5216-5 du CGCT) peuvent en effet déléguer leurs compétences eau et assainissement à de tels syndicats « inclus », ce qui ouvre la porte à leur maintien.

Cette possibilité est soumise à 2 conditions :

  • l’établissement d’une convention de délégation entre la CC ou la CA et le syndicat ;
  • l’existence des syndicats avant le 1er janvier 2019 ;

Même si la mise en œuvre opérationnelle de ces nouvelles dispositions posait de multiples questions juridiques, les contours semblaient clairs.

C’est dans ce contexte que quelques mois plus tard, la loi « 3 DS » (21 février 2022) a inséré dans le IV de l’art. 14 de la loi « Engagement et proximité » un nouvel alinéa, non codifié, rédigé en ces termes : 

« Par dérogation au deuxième alinéa du I de l’article L. 5214-21 et à l’article L. 5216-6 du code général des collectivités territoriales, les syndicats compétents en matière d’eau, d’assainissement, de gestion des eaux pluviales urbaines ou dans l’une de ces matières, inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes exerçant à titre obligatoire les compétences eau et assainissement à partir du 1er janvier 2026, sont maintenus par la voie de la délégation, sauf si la communauté de communes délibère contre ce maintien. » 

Cette nouvelle disposition, qui vient s’ajouter à celle de 2019, ne contient pas de référence à la date de création des syndicats infracommunautaires : dès lors, s’il n’est plus exigé qu’ils aient été créés avant le 1erjanvier 2019, ils pourraient donc l’être postérieurement à cette date. Ce raisonnement a suscité de nombreux projets de création de syndicats : de nombreux acteurs ont considéré qu’un syndicat, même délégataire de la CC, serait une option préférable à un transfert pur et simple à celle-ci, et ont donc engagé des démarches de structuration en ce sens.

Depuis lors, cette question suscite de nombreuses controverses, notamment quant à l’articulation entre l’alinéa issu de la loi de 2019 et celui ajouté en 2022. 

Si ce point peut donner lieu à des débats d’experts sans fin, le sujet devrait être tranché sur un autre terrain : celui de la compatibilité avec les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). 

En effet, l’art. L.5111-6 du CGCT, qui relève de la partie du Code fixant les dispositions générales en matière de coopération locale, énonce la règle suivante : « La création d’un syndicat de communes visé à l’article L.5212-1 (…) ne peut être autorisée par le représentant de l’Etat dans le département que si elle est compatible avec le schéma départemental de coopération intercommunale mentionné à l’article L. 5210-1-1 ou avec les orientations en matière de rationalisation mentionnées au III du même article L. 5210-1-1. » Or, parmi les orientations listées dans cet article figure notamment « La réduction du nombre de syndicats ». 

Dans ces conditions, des préfets ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne valideraient pas de nouvelle création, sauf à ce que la loi les y autorise expressément.

C’est donc désormais vers le législateur que l’attention se porte, d’autant que plusieurs réponses ministérielles à des parlementaires ont annoncé une clarification sur ce point (cf. par exemple à l’Assembléeet au Sénat). Toutefois, les pistes évoquées jusqu’à présent concernent l’extension du maintien « à tous les syndicats infra-communautaires existant au 1er janvier 2026 », ce qui ne constituerait pas pour autant un feu vert à la création de nouveaux syndicats.

Enfin, quelle que soit la date de création des syndicats infra-communautaires, rappelons que :

  • la convention qui les liera aux CC à partir de 2026 aboutira à une délégation et non à une « re-délégation » : ce terme parfois utilisé laisse penser que l’on reviendrait à la situation initiale. Il n’en est rien : les syndicats opéreront « au nom et pour le compte » des CC et comme tous délégataires, ils devront leur rendre des comptes en fonction des termes de la convention ;
  • les CC pourront s’opposer à ce maintien ainsi que le prévoit le dernier alinéa de l’art. 14 IV de la loi Engagement et proximité introduit par la loi 3 DS : une simple délibération du conseil communautaire suffira à les faire disparaître.

Est-il possible de refuser des permis de construire au motif que la ressource en eau est trop fragile ? (épisode 2)

Dans une précédente édition du Fil, nous abordions la question du refus de permis de construire au motif que la ressource en eau est trop fragile, suite à l’annonce choc de plusieurs collectivités d’une pause dans la délivrance des autorisations d’urbanisme (ex : CC du Pays de FayenceCC Rumilly Terre de Savoie).

Pour la première fois* (et sans doute pas la dernière…), le juge administratif s’est récemment prononcé sur cette question.

Il était saisi par un propriétaire dont la demande de PC avait été rejetée par le maire de Fayence, en raison notamment « des effets du projet de construction sur les ressources en eau dont la faible capacité est de nature à avérer un risque pour la santé et la salubrité publique. » 

Cette référence à la santé et la salubrité peut surprendre : cela ne semble en effet a priori pas être la première préoccupation ici, l’enjeu étant avant tout environnemental. Elle est toutefois indispensable sur le plan juridique car l’art. R.111-2 du Code de l’urbanisme, sur lequel se fonde le refus, dispose : « Le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ». 

Dans son recours, le propriétaire pointait d’ailleurs l’absence de lien avec la santé et la salubrité et soutenait en outre que l’insuffisance de la ressource n’était pas démontrée.

Le juge développe à ce sujet un raisonnement intéressant :

  • d’une part il constate que le problème d’eau est clairement établi, puisque le refus s’appuie sur les conclusions sans ambiguïté d’une récente étude « besoins / ressource » ;
  • d’autre part, il relève que l’insuffisance de la ressource serait préjudiciable non seulement au pétitionnaire si le permis lui était délivré, mais aussi à tous les usagers du service. 

C’est au vu de ce second point qu’il déduit le risque d’atteinte à la salubrité publique et opère le « rattachement » à l’art. R.111-2 : il se fonde sur l’impact collectif qu’aurait une nouvelle construction.

En complément, toujours en lien avec ce texte, le juge constate qu’aucun élément du dossier ne permet de penser que des prescriptions spéciales auraient pu être introduites dans le PC pour amoindrir ce risque (ex : fortes contraintes liées aux usages de l’eau : installation d’équipements hydro-économes, choix de la végétation, interdiction de piscine, etc.). Dès lors, la seule option était le refus.

En revanche, le tribunal écarte la référence à l’art. L.111-11 du Code de l’urbanisme qui impose le refus de PC lorsque d’une part « des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet », et que d’autre part la commune « n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés ». 

Ici, le maire justifiait le refus au motif que la sécurisation de l’approvisionnement en eau devait passer par de lourds travaux de mobilisation de nouvelles ressources dont le calendrier d’exécution n’est pas connu.

Toutefois, le juge considère que cet argument n’est pas recevable au regard de l’art. L.111-11 qui vise uniquement des obstacles à la desserte de la construction projetée, condition non-satisfaite : le terrain d’assiette, situé en zone AU, était déjà desservi. Les travaux d’envergure mis en avant par la commune ne sont donc pas nécessaires pour assurer le raccordement.

In fine, même si le TA donne raison au requérant sur certains motifs de contestation, il valide le refus du permis.

Ce jugement est intéressant à plusieurs titres : 

  • il conforte les communes dans leur démarche de limitation de l’urbanisation au titre de leur politique de l’eau : une argumentation juridique est possible ;
  • il met en évidence l’importance de disposer d’éléments techniques solides pour justifier une mesure aussi forte que des refus de PC ;
  • il donne une indication intéressante sur l’application de l’art. R.111-2 du Code de l’urbanisme : à l’avenir une commune aura tout intérêt à intégrer dans ses motifs de refus l’enjeu collectif de la délivrance de nouvelles autorisations de construire, dans la mesure où elle n’est pas seulement tenue de satisfaire les besoins en eau des nouvelles constructions mais aussi de continuer à desservir correctement la population déjà présente ;
  • il illustre que la référence à l’art. L.111-11 sera en revanche souvent inopérante : dans la plupart des cas de refus de PC pour cause de manque d’eau, l’enjeu ne réside pas dans les capacités des infrastructures existantes à desservir une future construction mais dans une cause externe, les tensions sur la ressource.

Il conviendra toutefois de suivre le devenir d’un éventuel appel, ainsi que peut-être d’autres dossiers similaires dans d’autres territoires pour pouvoir dégager un cadre juridique stable sur ce sujet… à moins que la loi évolue comme cela a pu être évoqué (cf. d’ailleurs la proposition de loi du député Naegelen de novembre 2022, même si son champ d’application envisagé est très limité).

* L’arrêt du 21 février 2023 de la CAA de Toulouse parfois cité sur ce sujet ne se prononce pas sur ce point : si l’accès à l’eau constitue l’un des motifs de refus de PC, c’est d’une part en raison de l’absence de desserte de la parcelle et d’autre part au vu du constat que les réseaux les plus proches n’avaient pas une capacité suffisante pour desservir un lotissement de 7 lots . Il ne s’agit donc pas d’un problème de manque d’eau.