Le Fil n°51

31 Oct 2023

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LE CHIFFRE

C’est le nombre de recommandations formulées par les auteurs du « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse de 2022 ». L’approche retenue permet de mettre en perspective les événements de 2022, de constater que le « Guide national de gestion des sécheresses » paru en 2021 suite à la sécheresse de 2019 devait (déjà !) être mis à jour (fait au printemps 2023) ou encore que le sujet nécessitait une articulation bien huilée entre d’une part une gestion locale par les préfets pour assurer la réactivité nécessaire, et d’autre part l’existence d’un cadre national suffisamment précis pour garantir que les réponses apportées soient cohérentes et à la hauteur des enjeux dans tous les territoires. 

L’ARRÊT

En matière d’assainissement, il est parfois délicat de déterminer « qui fait quoi ? » entre les divers acteurs impliqués : le maire (qui détient a minima son pouvoir de police générale, même en cas de transfert de la compétence), le président de l’EPCI-FP compétent (qui bénéficie, sous conditions, du transfert du pouvoir de police spéciale des maires en la matière*) et la collectivité elle-même.

Dans ces conditions, toute clarification concernant le partage des compétences est utile ; tel est l’intérêt de l’arrêt n°18LY03120 de la CAA de Lyon rendu le 11/06/2020.

Cette décision énonce explicitement que le déclenchement de la procédure d’exécution d’office aux frais du propriétaire des travaux de mise en conformité de son assainissement (art. L.1331-6 CSP) relève de la collectivité compétente : ce n’est pas une mesure de police initiée par le maire ou le président. Par conséquent, s’il s’agit reprendre un raccordement au réseau, c’est la collectivité compétente en assainissement collectif qui interviendra ; s’il faut réhabiliter un ANC ce sera celle qui organise le SPANC.

Cette dissociation par rapport aux mesures de police induit également que :

  • ce pouvoir bénéficie indifféremment à une communauté (EPCI-FP) ou à un syndicat (EPCI sans FP) compétents en assainissement, ce qui n’aurait pas été le cas s’il s’était agi d’une mesure de police puisque seul le président d’un EPCI-FP peut en bénéficier ;
  • ce pouvoir est systématiquement transféré à l’EPCI avec la compétence assainissement : il n’existe pas de pouvoir d’opposition des maires, contrairement au transfert de la police spéciale*.

Le transfert du pouvoir de police spéciale au président de l’EPCI-FP est certes automatique (art. L.5211-9-2 I CGCT), mais les maires bénéficient d’un pouvoir d’opposition et peuvent donc, sous conditions, le conserver même après transfert (même texte III).

Est-il possible de refuser des permis de construire au motif que la ressource en eau est trop fragile ?


En janvier dernier, considérant l’état de leur ressource en eau, les maires des communes membres de la CC du Pays de Fayence ont décidé de faire une pause dans les délivrances d’autorisations de construire. Leur raisonnement est simple : s’ils peinent à satisfaire la demande actuelle, est-il opportun de poursuivre le développement de leur territoire sans restriction ? Depuis lors, ils ont été rejoints pour les mêmes motifs par d’autres collectivités (ex : CC Rumilly Terre de Savoie : délibération du 24/04/2023, p.37 et s.) et des préfets (ex : préfet de l’Ardèche dans 22 communes du secteur de Vallon Pont d’Arc en zone RNU).

Si ces décisions fortes peuvent aisément se comprendre, la question de leur validité juridique n’est pas évidente. En effet, l’enjeu n’est pas ici de refuser au coup par coup des permis qui entraineraient des extensions de réseau, ce que permet le Code de l’urbanisme (certes, sous conditions), mais bien de freiner drastiquement les constructions à grande échelle (voire de les stopper) dans des secteurs déjà desservis, non pas au vu de la capacité des ouvrages mais de l’état de la ressource et des perspectives qui se dessinent.

Or, en l’état actuel du droit, une telle situation n’est pas prévue par le Code, ce qui génère une incertitude. 

Deux dispositions sont utilisées pour fonder les refus de permis pour cause de ressource insuffisante.

L’art. L.111-11 tout d’abord, selon lequel « Lorsque, compte tenu de la destination de la construction (…), des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau (…) sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire (…) ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. »

Ce texte est généralement la référence lorsque les projets nécessitent des extensions de réseau pour desservir les constructions envisagées ; or, de tels travaux ne sont généralement pas requis dans les situations visées. Cependant, la CAA de Bordeaux a admis une lecture extensive de ces dispositions, en validant le refus de PC par une commune en déficit d’eau au motif qu’elle n’était pas « en mesure d’indiquer dans quel délai une solution serait trouvée pour restaurer la capacité de son réseau d’eau potable » (CAA Bordeaux 6/11/2012, commune de Cabanac-et-Villagrains, n°11BX02569). Pour la Cour, « le maire, qui était dans l’impossibilité de préciser dans quel délai et par quelle collectivité ou concessionnaire les travaux devaient être réalisés pour assurer la desserte du projet, était tenu de rejeter les demandes de permis ». Cette interprétation large de la notion de « desserte » est d’autant plus intéressante qu’elle n’impose pas à la collectivité de justifier le refus au regard des caractéristiques de chaque projet : le constat de l’insuffisance de la ressource suffit. Cela crée donc un précédent extrêmement prometteur. 

Il faut relever par ailleurs que le maire n’a refusé les permis que temporairement, le temps que le réseau communal soit interconnecté à celui du service voisin. Ce point est important : une décision générale et définitive de refus serait certainement contestable sur le plan juridique. 

La seconde référence juridique sur le sujet est l’art. R.111-2 qui dispose que « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

S’appuyer sur ce dernier revient à considérer que le risque de ne pas pouvoir assurer la desserte continue des constructions envisagées porterait atteinte à la salubrité publique. Cela peut s’entendre, mais le Conseil d’Etat impose à la collectivité, avant de refuser un permis sur le fondement de cet article, de s’assurer « qu’il ne serait pas possible d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle (…), permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions [en vigueur] » (CE 26/06/2019, Commune de Tanneron, n°412429).

Cette condition introduite par le CE s’avère très (trop ?) contraignante pour pouvoir justifier des refus en nombre.

Certes, au titre des prescriptions spéciales, il pourrait être exigé des pétitionnaires qu’ils installent des équipements hydroéconomes ou un stockage d’eau de pluie ; serait-il possible d’aller jusqu’à leur imposer le recyclage des eaux grises dans les toilettes, voire leur interdire tout aménagement « non-essentiel » consommateur d’eau (ex : espaces verts, potager, piscine…) sans risquer une censure du juge ? Cela serait-il applicable pour tous types de constructions ?… Quoi qu’il en soit, dans un contexte d’insuffisance globale de la ressource en eau, de telles mesures seraient certainement insuffisantes : d’une part les usages les plus consommateurs dans l’habitat ne seront pas évités (93% des consommations servent à l’hygiène et au nettoyage) ; d’autre part la consommation dépend au moins autant des comportements que des équipements…

On le voit, en l’état, le droit de l’urbanisme n’est manifestement pas adapté pour fonder une réelle politique de restriction de l’urbanisation liée à la fragilité de la ressource en eau. A cet égard, une proposition de loi a été déposée par le député Naegelen en novembre dernier, mais à supposer qu’elle soit votée, elle ne règlerait pas la question : elle ne concerne que les communes au RNU et ne permet au maire de refuser les permis que « lorsque les ressources en eau atteignent un seuil de vigilance décrété par arrêté préfectoral ». Or l’enjeu « ressource » n’est pas ponctuel comme peuvent l’être les arrêtés ; il constitue dans un grand nombre de territoires un enjeu permanent et de plus en plus prégnant qui devait donc pouvoir être pris en compte à tout moment.

Dans l’immédiat, il est donc recommandé de prévoir de telles mesures de façon provisoire, d’envisager des exceptions (ex : aménagements sur des constructions existantes), de documenter solidement l’état de la ressource et les perspectives d’évolution et de mettre en œuvre en parallèle des mesures ciblées (économies d’eau, travaux d’amélioration du rendement, etc.). Telle est par exemple l’approche retenue par les CC du Pays de Fayence (adoption d’un « Plan Marshall pour l’eau ») et de Rumilly Terre de Savoie.

Que faire lorsqu’un propriétaire conteste l’implantation d’un ouvrage public (canalisation, réservoir, etc.) en domaine privé ?

Dans le dernier numéro du Fil, nous avons évoqué les modalités de sécurisation juridique de l’implantation de ces ouvrages, par le biais de l’établissement de servitudes. Or, la plupart des services d’eau et d’assainissement sont propriétaires d’ouvrages, parfois essentiels, implantés en domaine privé sans servitude et s’exposent de ce fait à des réclamations des propriétaires concernés. Comment peuvent-ils se positionner dans ces cas-là ?

Trois situations sont envisageables.

  1. Il n’existe pas de servitude : l’implantation de l’ouvrage est irrégulière puisque dépourvue de fondement juridique. Le propriétaire du terrain (« fonds servant ») peut dès lors en demander le dévoiement.
  2. Il existe une servitude conventionnelle : le propriétaire ne peut pas la dénoncer. Si toutefois elle n’a pas été mentionnée dans l’acte de vente ou qu’elle n’a pas fait l’objet d’un enregistrement au Service de publicité foncière et qu’il s’agit d’un nouveau propriétaire, elle ne lui est pas opposable. Dans ce cas, la situation s’apparente vis-à-vis de lui à l’absence de servitude.
  3. Il existe une servitude d’utilité publique : il n’est pas possible de la remettre en cause. 

Dans les cas 1 et 2, rien n’interdit à la collectivité d’engager une négociation avec le propriétaire pour (r)établir une servitude conventionnelle. Toutefois, s’il a déjà demandé le dévoiement, cette voie amiable est peut-être compromise.

Dans ce cas, la collectivité n’a que 2 options : dévoyer l’ouvrage ou établir une servitude d’utilité publique. Pour mémoire, l’art. R.152-1 du Code rural dispose que celle-ci bénéficie aux personnes publiques « à qui les propriétaires intéressés n’ont pas donné les facilités nécessaires à l’établissement, au fonctionnement ou à l’entretien des canalisations ». En d’autres termes, la voie amiable doit avoir préalablement échoué.

C’est donc au cas par cas que le service va évaluer les situations, en comparant les avantages et les inconvénients de chaque option : l’ouvrage concerné est-il isolé ou concerne-t-il plusieurs parcelles ? le dévoiement est-il complexe et coûteux ? peut-il à l’inverse simplifier l’exploitation à l’avenir ? s’agit-il d’un ouvrage à renouveler prochainement ?…

En cas de désaccord persistant entre le propriétaire et le service, le premier refusant la servitude et le second excluant le dévoiement, le dossier se termine généralement au contentieux.

Face à ce type de problématique, le juge procède à une analyse au cas par cas selon la logique suivante.

La question du caractère régulier ou pas de l’implantation peut parfois être délicate à trancher (ex : parcelle en indivision : CAA Bordeaux 10/06/2020, n°18BX01017, considérant 13).

Lorsque la régularisation de l’implantation paraît impossible, le juge fait la balance entre :

  • la gêne occasionnée au propriétaire par la présence de l’ouvrage, fut-elle irrégulière ;
  • et le caractère éventuellement excessif de l’atteinte à l’intérêt général en cas de dévoiement (coût, contraintes, etc.). 

S’il estime que l’atteinte à l’intérêt général n’est pas excessive, il enjoindra la collectivité à déplacer l’ouvrage. 

Dans le cas contraire, il conclura au maintien de l’ouvrage et évaluera alors l’indemnisation due au propriétaire, qui pourra s’accompagner d’une injonction à exécuter des travaux de réduction de la gêne (ex : aménagements sur l’ouvrage).

Exemple (CAA Marseille, 1/12/2020, Commune de Villemagne l’Argentière, n°19MA03122)

Un propriétaire demandait le dévoiement de canalisations d’eau potable et d’eaux pluviales implantées irrégulièrement sur son terrain. 

Pour se prononcer, le juge a comparé les éléments en présence.

Pour le propriétaire : quelle est l’ampleur de la gêne subie du fait de la présence des ouvrages ?Pour la collectivité : serait-il porté une atteinte excessive à l’intérêt général si elle devait déplacer les ouvrages ?
Nature de la gêne : impossibilité de planter une haie de bambousElément de contexte : les canalisations litigieuses sont posées en ligne droite en bordure de la parcelle et longent le tracé de la voie publique (sous-entendu : cela relativise la gêne)Nature des ouvrages : canalisations d’eau potable et d’eaux pluviales (sous-entendu : des ouvrages « sensibles »)Elément de contexte : commune rurale (462 hab.) dont les moyens financiers sont limités (sous-entendu : les mesures à prendre sont plus susceptibles de présenter un caractère « excessif »)

Décision au vu de ces éléments :

  • le dévoiement aurait entraîné une atteinte excessive à l’intérêt général (même si le coût du dévoiement n’a pas été chiffré et mis en regard des capacités financières de la commune) ;
  • les ouvrages ont été maintenus en l’état ;
  • une réparation forfaitaire de 4 500 € a été octroyée au propriétaire, considérant la gêne liée aux interventions d’entretien des canalisations et les démarches qu’il avait vainement effectuées pour aboutir à un accord amiable.

Pour d’autres exemples sur ce thème : 

  • régularisation possible : CAA Bordeaux 10/06/2020, SIVOM Saudrune Ariège Garonne, n°18BX01017
  • maintien de l’ouvrage car sa démolition entraînerait une atteinte excessive à l’intérêt général : CAA Marseille 22/07/2020, Perpignan Méditerranée Métropole, n°18MA03742
  • maintien de l’ouvrage car régularisation en cours : CAA Douai 21/09/2021, Commune de Saulchery, n°20DA00529
  • démolition de l’ouvrage : CAA Nancy 16/03/2021, ERDF, n°20NC00531