Le Fil n°52

12 Jan 2024

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LE CHIFFRE

C’est le seuil de population en-deçà duquel la loi NOTRe (7/08/2015) avait prévu que la saisie des données des services d’eau et d’assainissement sous SISPEA soit facultative (art. L.2224-5 al.5 du CGCT)… mais qui a été supprimé par l’ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. La disparition de cette condition rend la saisie des données légalement obligatoire pour toutes les communes et tous les EPCI compétents, quelle que soit leur population.
Les dispositions réglementaires relatives à l’art. L.2224-5 n’ont toutefois pas encore été mises en conformité avec cette nouvelle rédaction : le processus est en cours, en même temps qu’une révision des indicateurs de performance. Par conséquent, même si l’art. D.2224-5 fait toujours référence à ce seuil de population, c’est bien la rédaction de la loi qui est à prendre en compte.

 

L’ARRÊT

Le principe d’égalité des usagers devant le service public constitue l’un des éléments-clés à prendre en compte lors de la construction d’une grille tarifaire dans un service d’eau ou d’assainissement. 
Au fil des années, et notamment depuis que la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 a imposé la tarification proportionnelle à la consommation plutôt que le forfait comme règle générale, les tribunaux sont régulièrement saisis de contestations de tarifications plus ou moins « innovantes ».

La CAA de Marseille a ainsi récemment été appelée à se prononcer sur la facturation aux seules résidences secondaires d’une part fixe de 100 € / an en supplément de l’abonnement annuel appliqué à tous les abonnés (arrêts n°20MA04726 du 27/06/2022 et n°22MA02852 du 3/04/2023).
Sans surprise, elle a rejeté cette pratique, sanctionnée de longue date par le Conseil d’Etat (CE 28/04/1993, Commune de Coux, n°95139) : le critère de discrimination retenu (résidents permanents / « autres abonnés ») n’est pas acceptable au regard du principe d’égalité des usagers, dont le cadre d’application a été fixé dans l’arrêt de principe « Denoyez et Chorques » (CE 10/05/1974, n°88032 et 88148).
Le fait que d’autres collectivités appliquent ce type de tarification ou qu’elle ait déjà été en vigueur précédemment sans donner lieu à contestation (motifs parfois avancés par les collectivités concernées) ne saurait évidemment influer sur sa légalité…
Sans faire un recensement exhaustif des décisions sur ce sujet, rappelons que méconnait également le principe d’égalité un tarif lié :

  • au nombre de salariés des entreprises (CE 6/01/1967, Ville d’Elbeuf, n°63433) ou à leur activité (TA Toulouse 10/07/1997, Sté MAJ Blanchisserie de Pantin, n°953353) ;
  • au lieu de résidence des abonnés (CE 30/12/1998, Commune de Gluiras, n°169361) ;
  • au fait que des effluents domestiques proviennent des particuliers ou d’autres usagers tels que les hôtels (CE 21/05/2010, Société polynésienne d’assainissement, n°309734) ;
  • à la prise en compte de catégories d’usagers mais en établissant entre elles un écart trop important (CAA Bordeaux 11/12/2012, Commune de Biarritz, n°11BX03130).

Quand l’objectif est de faire contribuer plus fortement les résidents « non permanents » au financement du service, la tarification saisonnière offre des perspectives intéressantes… et légales.

Quelles précautions prendre quant à la diffusion d’informations relatives à la passation d’un contrat de DSP ?


Au terme d’une procédure de passation d’un contrat de concession (donc également pour un contrat de DSP), la collectivité doit notamment publier sur son profil d’acheteur les données essentielles du contrat avant son entrée en vigueur, selon les modalités détaillées dans l’arrêté du 22 décembre 2022 (des modifications rédactionnelles marginales y ont été apportées par l’arrêté du 22/12/2023). Les données visées sont sommaires et sans enjeu : titulaire, objet, montant, date de signature, etc.
En revanche, la collectivité peut se trouver en position bien plus délicate lorsqu’elle est sollicitée pour la communication de documents de la procédure, susceptibles de contenir des informations sensibles.
S’il existe un large droit d’accès aux documents administratifs, ouvert à toute personne (candidat, particulier, association, etc.), et protégé par le Code des relations entre le public et l’administration, ce droit n’est pas absolu : il doit s’exercer dans le respect du secret industriel et commercial ou de la protection des données à caractère personnel. Il faut donc trouver un équilibre entre ces règles « concurrentes », ce sur quoi veillent la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) voire le juge administratif.
Avant la signature du contrat par l’exécutif, seuls sont communicables les documents qui revêtent un caractère définitif (CADA, avis n°20072665 du 5/07/2007) : délibération décidant de lancer la consultation, avis de concession, règlement de la consultation. A ce stade, les autres documents demeurent préparatoires donc non-communicables. 
Une fois le contrat signé, tous les documents deviennent en revanche définitifs, donc a priori communicables, dans le respect des principes généraux de communication des documents administratifs. Cette condition peut conduire à refuser la communication de certains documents (ex : candidature des candidats non-retenus) ou à occulter des éléments. Quelques informations sont quant à elles exclues par principe du droit à communication et doivent donc systématiquement être masquées (ex : CADA, avis n°20200943 du 30/06/2020) : moyens techniques et humains du concessionnaire, certification de système qualité, chiffre d’affaires et coordonnées bancaires, références autres que celles qui correspondent à des contrats publics.
En cas de doute sur la communicabilité d’un document, la collectivité a tout intérêt à saisir pour avis la CADA avant de donner suite à une demande. Ses nombreux avis disponibles en ligne apportent déjà de nombreux éléments d’appréciation.
Enfin, à l’heure où les actes des collectivités sont de plus en plus rendus disponibles en ligne, il convient d’être particulièrement vigilants sur la diffusion de ces pièces : les principes ci-dessus s’imposent dans ce cadre également.
Or il n’est pas rare que la délibération d’attribution du contrat soit mise en ligne in extenso sur le site de la collectivité, alors même que des pièces-clés de la procédure y sont généralement annexées. Tel est par exemple le cas du rapport d’analyse des premières offres : il contient de nombreuses données techniques et financières parfois sensibles (coûts, effectifs, moyens, stratégie, innovations…), dont la diffusion est très encadrée voire proscrite, au nom du secret commercial et des affaires. Cela peut être préjudiciable pour les candidats, et expose la collectivité à un risque contentieux.
Dans ces conditions, et pour éviter un fastidieux travail de « caviardage » des documents afin de respecter l’ensemble des conditions posées par la CADA, il est préférable, en cas de mise en ligne, de ne joindre aucune annexe à la délibération. Si des demandes individuelles de communication sont ultérieurement formulées, il conviendra de les traiter au cas par cas, les restrictions pouvant varier selon la personne dont elles émanent (ex : usager, candidat malheureux à la procédure).
Plus généralement, la CADA recommande aux personnes publiques de désigner une personne responsable de l’accès aux documents administratifs (PRADA), à l’image du DPO / DPD en matière de données personnelles. On voit ici que sur de tels dossiers, cela prend tout son sens.

Pour aller plus loin 

Comment réagir face à un abonné du service d’eau qui refuse la pose d’un compteur radio ou télérelevé ?

Alors que de plus en plus de services s’engagent dans le déploiement de la relève à distance, ils sont parfois confrontés à des refus d’installation au nom de l’électrosensibilité.
Juridiquement, force est de constater qu’ils sont assez dépourvus face à ce type d’oppositions.
D’une part, il n’existe aucune disposition générale leur permettant d’imposer la pose d’un tel compteur. Certes, la circulaire du 12/01/2004 relative à l’individualisation des abonnements précise qu’à défaut de pouvoir exiger que le compteur soit à l’extérieur du logement, le service peut « imposer l’installation de matériel permettant le relevé à distance des consommations » lorsqu’il est à l’intérieur. Ce texte présente cependant une double faiblesse : il ne vise que les procédures d’individualisation et, s’agissant d’une simple circulaire, son opposabilité aux abonnés peut être discutée.
D’autre part, il semble vain de se positionner sur la question des émissions, de la réalité de la sensibilité aux ondes radio de l’abonné ou de l’éventuel risque sanitaire : outre que cela ne suffira généralement pas à convaincre les personnes concernées, on observe que la justice leur a plusieurs fois donné raison. Ainsi par exemple, en 2016, le Tribunal d’instance de Grenoble a répondu favorablement à la demande en ce sens d’une locataire, ordonnant à l’Office HLM de demander au gestionnaire du service d’eau d’enlever le compteur et de le remplacer par un modèle relevé manuellement.
Plus récemment, la Cour d’Appel de Paris a validé le refus d’une locataire qui faisait valoir un certificat médical établissant « que son état de santé est incompatible avec l’installation de compteurs communicants dégageant des champs électriques et électromagnétiques ». Certes, il ne s’agissait pas d’un service d’eau déployant la télérelève mais d’un Office HLM individualisant le comptage dans ses logements, et il semble que sa défense ait été inadaptée, la Cour relevant qu’il a produit des documents relatifs au compteur électrique (alors même que celui-ci utilise une technologie différente des têtes émettrices). Pour autant, elle a précisé que « à supposer que [les ondes] émises par ledit compteur, le soient à une dose inférieure à la norme généralement considérée comme inoffensive, cette dose s’ajoute aux autres et, compte tenu de la pathologie de Mme Z est susceptible d’affecter son état de santé. »
Dans ce contexte, il semble donc que l’enjeu pour le service d’eau soit de composer avec ces refus :

  • au vu des jurisprudences, il doit prévoir de maintenir des compteurs « classiques » pour ces abonnés : il ne semble pas réaliste (ni très robuste juridiquement) de faire de l’acceptation du compteur communiquant une condition de souscription de l’abonnement, d’autant que lors du déploiement de la radio ou télérelève, cela aboutirait en cas d’opposition à procéder à la résiliation d’office d’abonnements en cours ;
  • il devra continuer à effectuer des relèves manuelles individuelles pour ces quelques compteurs. Elles pourront faire l’objet d’une tarification spécifique, dans le respect des règles en la matière : institution par 1 délibération, montant en lien avec le coût réel de l’intervention ;

Le règlement de service va ici constituer l’outil essentiel : il devra précisément organiser les procédures et modalités de gestion pour les cas de refus (notamment dans le cadre de l’individualisation), imposer la garantie d’un accès au compteur (entretien, renouvellement, voire relève), définir les suites à donner en cas d’impossibilité d’accès répétée, etc. Rappelons à cet égard que l’opposabilité du règlement est liée à sa communication aux abonnés, comme évoqué récemment dans Le Fil. Compte tenu des enjeux associés aux dispositions évoquées ici, ce point mérite certainement la plus grande attention.

Un autre motif d’opposition des abonnés au recours à ces technologies, lui aussi sensible bien que moins souvent évoqué, est celui des données : il convient en effet de garantir le respect des règles sur les données personnelles (RGPD). Or, au-delà du simple suivi des index, les logiciels de traitement des données permettent désormais d’identifier finement les consommations d’eau (ex : nombre de douches ou de bains quotidiens). Aussi, en cas de relève à distance, particulièrement de télérelève, de multiples questions se posent : quelle est la finesse des données remontées à l’occasion de la transmission des index ? est-elle justifiée ? les abonnés en sont-ils informés ? donnent-ils explicitement leur consentement éclairé sur ce point (ex : fréquence accrue pour bénéficier de services d’alerte fuite) ?…
Dans ces conditions, les services ont tout intérêt à étudier précisément ces questions dans le cadre de la définition de leurs règles de gestion des données personnelles (obligation légale), à les communiquer à tous les abonnés via le règlement de service et/ou une « Charte interne RGPD » et à prévoir des formulaires explicites pour la souscription des services spécifiques.

Pour aller plus loin…
CNIL : les collectivités et la protection des données personnelles : état du droit, méthodologie, fiches pratiques..