Le Fil n°49

7 Juin 2023

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LE CHIFFRE

C’est le pourcentage d’usagers relevant d’un service d’assainissement non collectif (SPANC) intercommunal : 79% communautaire et 18% syndical.
Seuls 3% relèvent d’un SPANC communal.
Une proportion similaire (91%) bénéficie d’un service rendu en régie.
Comme toujours, le Panorama des services d’eau et d’assainissement  (données 2020 publiées en juillet 2022) est riche d’informations“.

L’ARRÊT

En dépit de la situation de très forte tension sur la ressource que connaissent de nombreux territoires, les communes demeurent tenues de respecter leurs obligations en matière de défense extérieure contre l’incendie (DECI).
A cet égard, l’art. L.2225-2 du CGCT prévoit qu’elles « sont chargées du service public de défense extérieure contre l’incendie et sont compétentes à ce titre pour la création, l’aménagement et la gestion des points d’eau nécessaires à l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours. Elles peuvent également intervenir en amont de ces points d’eau pour garantir leur approvisionnement. »

Ce texte n’impose certes pas une obligation générale de maillage de tout le territoire par des dispositifs de lutte, mais le juge en déduit que les communes sont soumises à une obligation, pour les parcelles déjà construites, de disposer des points d’eau nécessaires pour pallier le risque incendie.
Il en conclut donc que des propriétaires peuvent exiger l’installation de tels points, et que la commune ne saurait leur opposer ni l’insuffisance du débit maximum disponible ni la priorité donnée à d’autres projets ni même, manifestement, la charge financière que cela représente.
Et afin que le dossier ne s’enlise pas, le juge enjoint à la commune d’installer le(s) point(s) d’eau nécessaire(s) dans un délai de 6 mois à compter de la notification de l’arrêt, avec une astreinte de 100 € / jour de retard.
En toute logique, c’est au stade de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme que ces questions doivent être traitées, en se fondant sur l’art. R.111-2 du Code de l’urbanisme, qui permet de justifier un refus en raison notamment du risque incendie et de l’impossibilité d’assurer la défense de la construction projetée.

Quelle est la portée du schéma de distribution d’eau potable ?


Si le CGCT, dans son article L.2224-7-1, impose depuis 2006 l’établissement d’un schéma de distribution d’eau potable, il ne dit rien de la portée de ce document.
Cette question est pourtant essentielle : s’agit-il seulement de délimiter les zones desservies, simple cartographie des réseaux existants, ou cela crée-t-il pour le service une obligation de desserte exhaustive à l’intérieur de ces zones ?
Dans le silence du Code, c’est le juge qui a tranché cette question.
Le Conseil d’Etat a ainsi posé le principe selon lequel « il appartient aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale compétents de délimiter, dans le respect du principe d’égalité devant le service public, les zones de desserte dans lesquelles ils sont tenus, tant qu’ils n’en ont pas modifié les délimitations, de faire droit aux demandes de réalisation de travaux de raccordement, dans un délai raisonnable. »
Cette formule clarifie donc la question de la portée du schéma : en délimitant les zones de distribution, le service s’engage sur la desserte des constructions et doit répondre favorablement aux demandes.

En complément, le juge a apporté des précisions utiles : 

  • l’obligation de desserte ne concerne pas les constructions illégales au regard du droit de l’urbanisme (non-autorisées, etc.) ;
  • le « délai raisonnable » doit s’apprécier « au regard, notamment, du coût et de la difficulté technique des travaux d’extension du réseau de distribution d’eau potable et des modalités envisageables de financement des travaux » ;
  • dans les secteurs situés en dehors des zones de desserte, les demandes de raccordement sont appréciées « en fonction, notamment, de leur coût, de l’intérêt public et des conditions d’accès à d’autres sources d’alimentation en eau potable ». La même solution s’applique sur l’ensemble du territoire en l’absence de schéma. Ces 3 critères, même s’ils ne constituent pas une liste exhaustive (cf. emploi de « notamment »), donnent des indications utiles pour la délimitation des zones ;
  • lorsqu’elles seront contestées au contentieux, les décisions de refus émises par les services d’eau en dehors des zones de desserte ne feront l’objet que « d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation » de la part des juridictions : il s’agit d’un contrôle allégé, recherchant s’il existe une disproportion excessive entre les faits et la décision prise sur leur fondement. Cela est cohérent avec la logique relativement « discrétionnaire » qui s’applique dans ces secteurs.

Les conclusions du rapporteur public sur cette décision sont également très intéressantes.

Rappelons que le CGCT prévoit que le schéma de distribution doit être établi au plus tard le 31 décembre 2024, ou dans les deux années suivant la prise de compétence à titre obligatoire par la communauté de communes, si elle intervient après le 1/01/2023.

Quel est l’état du droit en matière de « tarification progressive » de l’eau ?

La tarification progressive, mise en lumière avec le « Plan Eau » présenté le 30 mars (mesures 42 et 43), n’est pas une nouveauté dans les services d’eau.
Elle bénéficie en effet d’un cadre juridique déjà étoffé :

  • la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, dans son art. 13 II, a mis un terme (sauf dérogation préfectorale) à la tarification au forfait, alors courante, en fixant la nouvelle règle suivante : « Dans le délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, toute facture d’eau comprendra un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné à un service de distribution d’eau et pourra, en outre, comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume, compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du branchement. » Cette disposition, d’abord codifiée dans le Code de l’environnement, figure aujourd’hui à l’art. L.2224-12-4 I du CGCT ;
  • en 2003, le Conseil d’Etat a jugé que ces dispositions permettaient l’instauration d’un tarif dégressif ; 2 ans plus tard il a donné une interprétation générale de cet article, précisant qu’il n’imposait pas aux services de fixer un tarif uniforme par mètre cube et qu’ils pouvaient donc légalement « instituer un tarif dégressif ou progressif, en fonction des tranches de consommation » ;
  • la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 a prévu qu’à compter du 1er janvier 2010, « le montant de la facture d’eau calculé en fonction du volume réellement consommé peut être établi soit sur la base d’un tarif uniforme au mètre cube, soit sur la base d’un tarif progressif » (art. L.2224-12-4 III). Ce texte précise toutefois :
    • que si plus de 30% du prélèvement d’eau font l’objet de règles de répartition des eaux (inscription en ZRE), la collectivité doit examiner ses modalités de tarification « en vue d’inciter les usagers à une meilleure utilisation de la ressource » : une tarification progressive, bien conçue, semble être le meilleur outil pour cela même si elle n’est pas citée ;
    • qu’à l’inverse, un tarif dégressif peut être établi si moins de 30% du prélèvement font l’objet de telles mesures (règle qui peut aujourd’hui surprendre…) ;
  • ce même III permet aussi, dans le cadre d’un tarif progressif ou dégressif, de définir « pour les immeubles collectifs d’habitation, un barème particulier tenant compte du nombre de logements » ;
  • la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 a quant à elle créé l’art. L.2224-12-1-1 du CGCT, qui précise que ces mesures tarifaires « peuvent également inclure la définition de tarifs incitatifs définis en fonction de la quantité d’eau consommée », ce qui correspond à une tarification progressive. Ce même texte donne un fondement juridique à la tarification sociale en prévoyant que « la tarification de l’eau potable aux abonnés domestiques peut tenir compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés en situation particulière de vulnérabilité en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite. La progressivité du tarif peut être modulée pour tenir compte des revenus et du nombre de personnes composant le foyer ». La gratuité des premiers cubes est donc conditionnée à un critère social.

Sur le fondement de ces multiples textes, de nombreux services appliquent donc de longue date une tarification progressive…

Par ailleurs, il faut également distinguer tarification progressive et tarification sociale : la première adapte le tarif au volume consommé ; la seconde l’adapte au profil social de l’abonné.
Ces 2 logiques peuvent certes se combiner, mais elles ne se chevauchent pas.
Ainsi, appliquer une tarification progressive avec une première tranche à faible tarif pour tous les usagers ne constitue pas une tarification sociale, contrairement à la présentation qu’en font souvent les services concernés. Une telle grille favorise en effet les petits consommateurs, qui peuvent tout autant être des personnes seules à faibles ressources que des résidences secondaires habitées seulement quelques semaines par an.
A l’inverse, elles sont susceptibles de pénaliser des gros consommateurs à faibles revenus (ex : familles nombreuses), alors même qu’une personne seule qui consomme 60m3 est moins vertueuse qu’une famille de 4 personnes qui consomme 120 m3…
De même une tarification saisonnière, autorisée par l’art. L.2224-12-4 IV, ne constitue une tarification progressive que si elle intègre des tranches en plus des périodes de tarification.

Enfin, la question de la tarification progressive n’est pas seulement juridique, elle est aussi opérationnelle, et les points d’attention sont nombreux, par exemple :

  • comment tenir compte du profil des abonnés (ex : nombre de personnes au foyer) : quelle source d’information, quelles modalités de tenue à jour, etc. ? Pour l’application d’un tarif social, le CGCT encadre l’échange de données avec les CAF et CPAM, mais sur le terrain, ce texte est parfois méconnu ;
  • comment identifier précisément « les ménages, occupants d’immeubles à usage principal d’habitation » (que l’art. L.2224-12-1 définit comme une catégorie d’usagers à part entière), pour leur appliquer une tarification spécifique, en particulier quand ils résident dans des immeubles non-individualisés hébergeant des activités professionnelles (commerces, services) et des logements ?
  • quelle connaissance a la service du profil des consommations, voire de leur répartition dans le temps, condition indispensable pour fixer avec pertinence les seuils de changement de tranche et/ou de saison ?
  • faut-il multiplier les tranches ou au contraire en limiter le nombre pour assurer la lisibilité de la grille tarifaire ? 

Toute réflexion sur la tarification demande donc un travail de fond : analyse des consommations sur un pas de temps aussi fin que possible, connaissance du profil des usagers du territoire (composition des ménages, situations économique et sociale…), réflexion sur l’équilibre entre part fixe et part variable, définition des objectifs politiques, recours (ou pas) à une contribution du budget principal comme le permet le CGCT pour la tarification sociale, prise en compte des usagers non-abonnés (ex : résidents de l’habitat collectif non-individualisés), etc. 
Dans le contexte actuel et futur de forte tension sur la ressource, une telle démarche semble indispensable, sans fragiliser l’équilibre économique du service, déjà mis à mal par l’incertitude sur les consommations et le contexte économique général (inflation, coût des travaux ou de la dette…). 
Intense remue-méninges en perspective dans les services d’eau…